Non, mais t’as vu tes notes ?

Non, mais t’as vu tes notes ?

En ce moment, les gosses la ramènent moins. C’est le temps des conseils de classe du second trimestre et des avis sur leur orientation. Parfois c’est bon. Parfois non. Les conséquences immédiates sont considérables : risque de confiscation du portable, réduction du temps passé à jouer en réseau, autorisations de sorties du territoire parental en berne.

Pourtant, à bien regarder, les parents seraient bien inspirés de moins faire les malins. Car les adultes ont de plus en plus vocation à être notés et leur travail à être évalué par écrit. L’art du bulletin a vocation à se développer et à se généraliser.

Le gamin peut toujours tenter de détourner le courrier. A défaut d’une main habile dans la boite aux lettres il peut au moins éviter d’exposer son bilan aux regards indiscrets. Les parents regardent le bulletin, avis de tempête, et puis on range l’objet du délit tout au fond d’un tiroir discret.

Les adultes n’ont pas cette chance. Car de plus en plus leur bulletin à eux se balade sur le Net.

Ce ne sont pas les Chefs et les Hôteliers qui diront le contraire.

On ne compte plus les sites qui donnent des avis sur leurs prestations. Cela fait parfois plaisir, parfois un peu moins : « Bon plat, service impeccable, beau cadre mais il manquait une ampoule au lustre de la table du fond. Scandaleux. Je déconseille ». En principe on veille à rajouter quelques fautes de grammaire, histoire de ne pas donner l’impression d’être snob.

Que penser de ce déferlement de jugements définitifs. ? D’abord que l’on n’y peut rien, que c’est l’époque qui veut ça. On pense peu, mais on a des avis sur tout. D’autre part le temps est à la transparence, on montre et on dit tout : l’ex a balancé le film de votre sex tape sur un site spécialisé ou encore, moins distrayant, les jeunes parents expédient des photos dument commentées du petit Léo ou de la petite Léa toutes les dix minutes : bébé rit, bébé pleure, bébé sur son pot. Dans ces conditions on ne voit pas pourquoi on ne publierait pas son avis sur l’endroit où l’on a mangé, où l’on a dormi – ou pas…

Et de fait il ne faut pas être hypocrite : qui n’a jamais consulté les appréciations de clients avant de réserver ( ou pas, du coup ) une table, une chambre ? Avouons-le : c’est bien pratique.

Et souvent pas faux. Quand les avis positifs ou négatifs s’accumulent, il est rare que ce soit sans raison. Et que l’on encourage d’autres à venir est une forme de reconnaissance pour celui, pour celle qui a bien fait son travail, ils sont quand même les plus nombreux, et de loin. Et que l’on évite à d’autres les déboires que l’on connus par ailleurs relève presque du civisme.

D’un autre côté il y a quelque malaise aussi : le bulletin du petit dernier de la famille n’est pas fameux ? Au moins chaque professeur a signé sa remarque et doit être capable de la justifier en face de la famille. Sur internet, l’anonymat ou un quasi anonymat de fait est la règle, voilà qui change la donne. Quand JJ23 de Benfeld écrit : « Super, vraiment j’ai passé un moment formidable. Je reviendrai »… qu’on ne le(la) connaisse pas n’est pas gênant. Mais quand Supercoyotte98 de Molsheim laisse : « Bouffe quelconque, décor ringard », c’est peut-être vrai. Mais si ça ne l’est pas, ça fait mal, même entouré de commentaires plus sympathiques.

Car il est quelque chose d’un peu déséquilibré. L’établissement peu recommandable finira bien par fermer. Mais s’il est des restaus pas terribles il est aussi des clients mauvais coucheurs : et le client, qui n’est pas noté, lui, pourra continuer à faire suer un établissement après l’autre au gré de ses passages et de ses acrimonies.

Alors faut-il brûler les avis sur les restaurants et les hôtels ? Sûrement pas… Globalement, ce n’est pas si mal fait… Et comme dit, qui n’y a pas recours ? Mais peut-être ne pas en devenir esclave et continuer à découvrir, par soi-même, quelque endroit, sans rien lire auparavant. Et puis apprendre aussi à domestiquer sa plume : un clavier, un écran… tout est si facile.

En tout cas, les gosses au moment de se faire remonter les bretelles ont désormais les moyens de faire face :
– Non, mais… Mais tu as vu tes notes en maths et en français ?
Eh bien ils risqueront de répliquer :
– Et toi, t’as vu le dernier avis qui te concerne sur Tripadvisor ?

Martin Brem – Des cours de français au coaching orthographe et expression écrite, en passant par ses activités de « plume », d’écrivain ou de chroniqueur livres  : rien de ce qui concerne le plaisir des mots ne lui est totalement étranger…