Un restaurant est un théâtre comme les autres…

Un restaurant est un théâtre comme les autres…

On quitte la salle de théâtre, on retrouve volontiers le restaurant d’en face, mais a-t-on vraiment changé d’endroit ?

Il est d’une pièce comme d’un plat : l’un comme l’autre ne sont rien sans un metteur en scène et des acteurs…

Dom Juan par deux metteurs en scène différents et ce n’est plus la même pièce. Le même plat préparé par deux chefs différents, que reste-t-il en commun ? Pas grand-chose. Il est des metteurs en scène qui entendent se réapproprier l’œuvre, la réinventer : cela plaît à un public branché, navre parfois les autres; il est des metteurs en scène qui plus discrets tentent l’excellence de la tradition, s’effacent derrière le chef d’œuvre, veillent juste à ce qu’il soit parfait : cela rassure, c’est aussi délicieux. En est-il différemment avec les chefs ? Faut-il innover à tout prix ou essayer de s’inscrire dans une tradition que l’on s’attachera à sublimer ?

D’ailleurs avec le même metteur en scène, avec les mêmes acteurs aucune représentation ne correspond exactement à une autre. N’a-t-on pas déjà fait une expérience identique dans bien des restaurants ? Le plat que l’on a repris, parce qu’un jour il nous a plu, n’est jamais tout à fait le même… plus aussi bon, ou alors meilleur au contraire, différent assurément… Mais peut-être est-ce moi qui ai changé ?

On arrive à l’essentiel : il n’est rien dans ces choses, qui ne se fasse à deux. Il y a celui qui fait, mais il n’existe que dans le regard et le goût de l’autre… Tout comédien explique qu’il est de bons et de moins bons publics. Il est des soirs où l’on sait savourer une pièce ou un plat, il en est d’autres, où l’on passe à côté, la tête ou les papilles aux abonnés absents. Le metteur en scène, les serveurs, le chef ou les comédiens n’y peuvent rien, c’est ainsi.

D’ailleurs, tout comme le théâtre contemporain aime à brouiller les codes, à mêler les comédiens aux spectateurs – où est le vrai, où est l’illusion ?- de même le repas est une pièce où le spectacle est dans l’assiette mais aussi dans la salle : il y a le décor, il y a les convives… Qui n’a jamais observé ce couple de la table d’à côté goûtant les mets d’une fourchette, explorant son I Phone de l’autre, sans même s’échanger une parole ?

Trois ou cinq actes ? Qu’importe… Une entrée ? Fromage ou dessert ? Une pièce est un rythme, un repas aussi… Il s’agit de s’interrompre, juste ce qu’il faut, ni trop, ni trop peu, sous peine d’avoir soit l’impression d’avoir mangé au lance-pierres , soit, à force d’attendre, de briser le charme. « Même le silence est de la musique » disait Mozart : savoir faire attendre entre deux plats, juste ce qu’il faut mais pas trop est tout un art, que seuls les plus subtils maîtrisent à la perfection.

Et puis le spectacle est un art éphémère comme la cuisine. Mais parfois certaines représentations sont filmées et l’on retrouve un peu de la magie d’une soirée hors normes longtemps, longtemps après. Que n’a-t-on encore inventé la machine à nous rendre les exquises sensations ressenties dînant un soir dans tel restaurant, alors même qu’il n’existe plus ou que le chef a changé ? Et même, qui sait, qui nous rendrait, ne fût-ce qu’un instant, celui ou celle qui était là, en face de nous, et qui nous souriait ?!

Martin Brem – Des cours de français au coaching orthographe et expression écrite, en passant par ses activités de « plume », d’écrivain ou de chroniqueur livres  : rien de ce qui concerne le plaisir des mots ne lui est totalement étranger…