Du gazole dans le potage …

Du gazole dans le potage …

Aujourd’hui, plus que jamais, Vatel aurait à nouveau de bonnes raisons de se suicider.

Vatel ? Mais si, vous voyez… On est au temps de Louis XIV : Vatel est le cuisinier du duc de Condé. Le 23 avril 1671 le Duc de Condé reçoit le Roi et des centaines d’invités. C’est un moment important, car le Duc de Condé a beaucoup de choses à se faire pardonner par le Roi, et le pardon royal passe toujours plus facilement par la table que par le confessionnal. Le repas est parfaitement organisé, tout semble devoir bien se passer. Et soudain des dizaines d’invités imprévus se rajoutent. Il y a deux tables auxquelles Vatel n’est pas en mesure de servir le même rôti.

Le Duc ne s’en offusque pas, au contraire il estime que la soirée s’est bien passée même s’il n’a pas pu inviter sa majesté à regarder Hanouna sur D8. Mais Vatel qui est d’un tempérament chatouilleux estime son honneur de Chef gravement compromis. Aujourd’hui il irait chez son psy qui lui expliquerait qu’il a un problème avec sa mère. A l’époque on dispose de divans mais de peu de gens spécialisés dans le burn out. C’est dommage.

Vatel veut frapper un grand coup et pour le lendemain a prévu de servir des poissons somptueux. Ceux des rivières sont jugés trop communs : ils viendront de la mer – non par leurs propres moyens mais acheminés dans des convois spéciaux. Il en a commandé en masse. Dès quatre heures du matin il guette l’arrivée des premiers convois. Rien. A cinq heures ? Rien… Un peu plus tard seules deux corbeilles de poissons sont livrées.

  • Ne vois-tu aucun convoi venir, chargé de poissons ?
  • Non, rien, je ne vois rien venir !

( il y a un petit côté Barbe-Bleue dans cette histoire)

Bref, il retourne dans sa chambre et se jette par trois fois sur son épée. La technique, plus sommaire que celle des samouraïs est efficace néanmoins : il meurt.

A l’époque on était livré à cheval. Aujourd’hui des camions frigorifiques se chargent de cette tâche. Encore faut-il qu’ils aient du gazole. On sait l’agitation sociale que la France traverse : et là, plus que jamais le slogan « en France on n’a pas de pétrole mais on a des idées » est d’actualité. Des idées ? A voir… Mais pas de pétrole, c’est sûr…

Blocage des raffineries : on a vu des centaines de stations à sec, on a cru que le mouvement se répandait. On a tous nos restaurants favoris. Allaient-ils encore être livrés ? Et le Chef comment allait-il réagir en cas de pénurie ?

La fin de l’histoire est la suivante : en fait au moment où Vatel s’embroche comme la première volaille venue, on le cherche. Car les poissons viennent d’arriver, en masse, trop tard. Aujourd’hui la pénurie d’essence recule et l’on peut aller à son restau sans risquer de tomber sur une carte : « désolé, plus de poisson » et sur le Vatel de l’endroit étendu roide mort. On respire.

Vatel officiait pour le Condé au château de Chantilly : l’information est d’importance. On lui prête – peut-être à tort, mais qu’importe- qu’il aurait été à l’origine de la crème Chantilly. Au prochain passage au restau un rôti, un poisson de mer et un dessert à la crème Chantilly s’imposent…

Martin Brem – Des cours de français au coaching orthographe et expression écrite, en passant par ses activités de « plume », d’écrivain ou de chroniqueur livres  : rien de ce qui concerne le plaisir des mots ne lui est totalement étranger…