Liberté d’expression et viande froide, par Martin Brem

Liberté d’expression et viande froide, par Martin Brem

On voit mieux désormais où mène la liberté d’expression : au cimetière.

A la réflexion on a tous un sujet, un thème, une conviction qui nous tient à cœur.

Tout bien considéré il serait peut-être plus simple que chacun dise ce dont il ne veut pas que l’on parle ou que l’on rie. On irait à l’Etat Civil déposer notre sujet tabou – ce serait comme une sorte de dépôt de brevet. Désormais, avant d’aborder un sujet, chaque humoriste, chaque polémiste consulterait la liste des questions à proscrire puis s’exprimerait, en toute liberté, sur ce qu’il veut. On gagnerait en tranquillité publique ce que l’on perdrait en oraisons funèbres, ce n’est pas plus mal.

On pourrait ainsi interdire de rire quand Laurent Blanc s’exprime, quand Sophie Marceau commence à philosopher. Dans la foulée on prendrait même Carla Bruni pour une chanteuse. Par ailleurs il est des Présidents de la République dont on s’abstiendrait de ricaner sottement des talonnettes, d’autres de leur casque. Les plus motivés imagineraient même que notre Ministre de la Culture lise, et du Modiano en particulier.

En tout cas s’il est un domaine où l’on aurait tout à gagner de cette rationalisation de la liberté d’expression, c’est bien le domaine de la gastronomie. Car les Chefs se donnent bien du mal pour faire leurs plats. C’est leur passion, c’est leur vie : quel que soit le plat servi, c’est toujours un peu leurs tripes – si l’on peut dire- qu’ils y mettent… Et il est toujours navrant qu’un critique gastronomique, un client, d’un revers de fourchette, se permette des propos déplaisants.

Désormais seules les appréciations les plus élogieuses seraient de mise. Toute critique gastronomique se terminerait par l’attribution d’une étoile supplémentaire. Tout client se devrait d’une « standing ovation » pour le Chef en sortant de table.

Bien sûr des petits malins ne manqueraient pas de faire de la provocation, de critiquer, voire, quelle horreur, de se moquer. La réplique ne manquerait pas d’être saignante. On pourrait embrocher, dépecer, faire revenir à petit feu l’impétrant. Pour plus d’inspiration, il suffirait de lire les manuels de l’Inquisition ou de ceux d’Etats ou d’organisations particulièrement en vue actuellement en matière de Droits de l’homme.

Le Michelin, Le Pudlo, les Nouvelles gastronomiques d’Alsace et quelques autres n’auraient qu’à bien se tenir. Et le client aussi.

A chacun son sacré. Et la cuisine en vaut bien d’autres.

Et vive Charlie…

Martin Brem – Des cours de français au coaching orthographe et expression écrite, en passant par ses activités de « plume », d’écrivain ou de chroniqueur livres  : rien de ce qui concerne le plaisir des mots ne lui est totalement étranger…